Donnerstag, September 01, 2016

"Certains jours, on se passerait d'avoir un corps; avant l'aube, la colique et la fièvre me laissent quatre heures de sommeil et de répit bienvenus que j'emploie à le séparer de moi. Au réveil, je le retrouve à une bonne longueur de bras. Je le bouchonne, je l'étrille  à la brosse et à l'eau froide, je le frotte à l'alcool de camphre, le retourne sans façon en m'amusant de le retrouver chaque matin plus émacié et pitieux. Je l'enveloppe de laine et de cuir, l'abreuve de thé très sucré - le seul aliment qu'il supporte - puis je l'envoie sur la route où il se nourrit de vent atlantique et où je le rejoins un peu plus tard sans qu'on ait échangé un mot. Si mauvaise qu'ait été la nuit, quelques bouffées d'air ont suffi à le remettre d'aplomb. Il est là, revigoré, fin prêt pour les entreprises de la journée."
NICOLAS BOUVIER: Journal d'Aran et d'autres lieux. Paris : Editions Payot & rivages, 2001. (Petite bibliothèque Payot ; 155), 46-47